DAIMÉ Daniel
DAIMÉ Daniel
CHEF de CANTON à Robert Espagne (55)
Date de naissance : 25 Mars 1904
Lieu de naissance : ST DIZIER 52
Date de décès : 29 aout 1944
Lieu de décès : ROBERT ESPAGNE (55)
Circonstances : Fusillé, massacre collectif
Méthode de recherches Rail et Mémoire pour cette notice :
« La SNCF pendant la guerre » Paul Durand
Site internet Robert Espagne : http://www.robert-espagne.com/la%20tragedie.html
Extrait de la une du quotidien « Défense de la France » (D.F.), journal de la Résistance créé en 1941, futur « France soir », datée du samedi 16 septembre 1944.
Depuis deux jours, les habitants de Robert-Espagne et des environs entendent distinctement le canon : les Américains, disait-on, seraient à Troyes et même d'après certains aux abords de Vitry-la-Ville. En cachette, on prépare les drapeaux qui orneront les fenêtres le jour de la libération; on coupe, on teint, et même on reprise ou on rajeunit les étendards qui ont dormi depuis cinq ans à l'abri des regards indiscrets. Les camions allemands de toute nature passent en direction de Mognéville ; matériel camouflé aussi hétéroclite que les hommes qu'il transporte. Peu de voitures ou de camions isolés, car la forêt voisine de Trois-Fontaines abrite des maquisards. Les ménagères,- qui regardent passer les convois d'un regard mi-narquois, mi-songeur, discutent entre elles de la future libération: chacune voudrait être huit jours plus âgée, car une sorte de crainte, une sorte d'angoisse, pèse sur la région depuis les incidents de Lisle-en-Rigault. Seule l'arrivée des chars alliés pourrait les calmer.
Et voici qu'au matin du mardi 29 août; le drame commence, encore imprécis, mais lourd de menaces : les hommes qui chaque jour quittent leur demeure pour se rendre à pied ou à bicyclette à leur travail dans les fonderies, dans les papeteries ou les bleuteries de la région, trouvent à chaque extrémité du village des Allemands casqués, l'arme au poing. Il ne s'agit pas de vérifier les papiers une fois de plus. « Nicht arbeiten heute » « Il ne faut pas travailler aujourd'hui » répondent les sentinelles qui refoulent les hommes vers le village. Certains essaient de passer quand même, à, plusieurs reprises; mais, sous la menace des armes automatiques, ils doivent rebrousser chemin. Des groupes se forment ; on va de maison en maison, on discute, on prête aux Allemands toutes sortes de raisons, on forme bien des hypothèses. Pendant ce temps, sur les collines, des soldats installent des canons -les témoins ne s'accordent pas sur leur nombre -pointés vers le village et déjà hommes et femmes s'attendent à voir déboucher une colonne de blindés alliés venant de Baudonvilliers.
Vers midi un quart plusieurs motocyclettes arrivent dans la grande rue à toute vitesse; des Allemands en kaki, porteurs d'un brassard rouge à croix gammée, pénètrent en coup de vent dans la poste et bientôt deux violentes explosions retentissent, assourdissant les femmes qui se 'sont rassemblées. M. A..., constatant qu'aucun Allemand n'est en vue, s'aventure jusqu'au bureau de poste: du verre pulvérisé, une salle dévastée, jonchée de débris de planches poussiéreuses et noircies, c'est tout ce qu'il aperçoit. Déjà le bruit court que la postière est gravement blessée et M. l'abbé Briclot, muni des Saintes Huiles, se rend immédiatement sur les lieux; mais la postière avait eu le temps de partir avant l'entrée des S.S. En rentrant chez lui, M. A.. .aperçoit dans la côte de la Gare quelques soldats entrant dans les maisons. De son côté, l'abbé Briclot se met à peine à table, qu'une fillette vient l'avertir que les Allemands ramassent tous les hommes. Pensant que les S. S. veulent emmener ceux-ci en Allemagne avant l'arrivée des Américains, il se sauve immédiatement avec une centaine d'autres hommes du bas-village. Quelques minutes après, les S.S. pénétraient au presbytère par devant et par derrière. Tandis que plusieurs soldats se rendaient à la gendarmerie, désarmant les gendarmes et les faisaient sortir, d'autres fouillaient chaque maison en commençant par le haut du pays, du côté de la gare.
En entrant, les S.S. considèrent le nombre d'assiettes posées sur la table -il est midi -et s'informent minutieusement des absents qu'ils cherchent ensuite. Ils se montrent d'ailleurs très courtois et invitent gentiment les hommes à les suivre; ils braquent seulement leur mitraillette quand ils rencontrent de la résistance. Pourquoi cette opération ? S'agit-il d'une corvée ? Certains le croient. S'agit-il d'un départ vers un camp.de concentration pour éviter une aide aux Américains dès leur arrivée ? C'est la pensée d'un grand nombre d'hommes du bas-village qui se cachent dans les champs en bordure du pays. Leur sécurité leur paraissant illusoire, ils se relèvent et s'élancent en terrain découvert ; mais de nombreux coups de fusil claquent à leurs oreilles. Cependant les hommes « ramassés » se sont rendus place de la Gare; certains d'entre eux y sont allés sans être accompagnés, pensant qu'il valait mieux faire le travail pour lequel, croyaient-ils, ils étaient appelés. Mais le feu est mis par un groupe d'Allemands, à la ferme de M. T ..., président du Comité agricole. Aussitôt l'un de ses cousins, M. B..., part lâcher le bétail et retirer de la cave quelques objets de valeur qu'il y sait déposés. Mais un soldat l'aperçoit et presque à bout portant, lui tire un coup de fusil dans le dos. Le malheureux -un prisonnier rentré de captivité l'année précédente meurt immédiatement. Deux autres hommes, MM. T... et F... attendent dans la rue qu'un enfant leur apporte leurs papiers d'identité oubliés dans leur fuite. Deux Allemands en motocyclette les voient et les forcent à courir les bras en l'air devant leur moto jusqu'à la place de la Gare, où sont rassemblés 50 hommes de I7 à 60 ans. Le groupe d'incendiaires continue son travail: avec des grenades et un acide inflammable, ils incendient un pâté de quatre ou cinq maisons et quand le quartier est bien en feu, c'est le tour d'un autre. Au presbytère, sous les yeux des parents de M. l'abbé Briclot, ils éventrent les sommiers et allument le crin qu'ils contiennent, puis ils montent sur le toit répandre une poudre qu'ils enflamment. Pendant ce temps, les cinquante hommes réunis devant le café de la Gare, où ils ont reçu l'ordre de s'asseoir, sont conduits devant la Halle aux marchandises où les femmes leur apportent leur repas inachevé ; un s.s. offre même des cigarettes. Toutes les femmes et les enfants avaient quitté le bas du village en flammes -l'incendie fut arrêté vers 3 heures pour reprendre à 5 heures -portant des ballots de linge, des sacs, des brouettes chargées et s'étaient réfugiés dans les champs. Grâce à leur présence qui faisait écran, un groupe d'hommes put quitter le champ de maïs qui les abritait et gagner la forêt. Les fuyards rencontrèrent quelques F. F. I. au brassard tricolore qui descendaient de leur côté, n'ayant, malheureusement, que trois carabines et quelques grenades. Au moment où ils atteignaient la lis ère du bois « plusieurs salves de mitrailleuses posées, ajustées » se font entendre à côté de
Les femmes, qui avaient accompagné leurs maris sur la place de la Gare, avaient été chassées peu avant 3 heures et les S.S. avaient fait faire aux hommes le tour de la place pour les mener, bien encadrés, vers le remblai situé en face de la petite vitesse. « Beaucoup d'hommes peut-être ont cru tout d'abord prendre le chemin de Jeand'Heurs pour une corvée; d'autres ont songé à un simulacre d'exécution. Mais tous comprirent que leur arrêt de mort était signé, quand ils aperçurent les mitrailleuses braquées sur le chemin où on les alignait. » M. T ...avait dit en fumant sa cigarette : « Ne serait-ce pas la cigarette du condamné ? » Un officier arriva en voiture pour confirmer sans doute l'ordre d'exécution. La mitrailleuse crépita... Des coups de révolver suivirent la fusillade: les bourreaux achevaient leurs victimes. Plusieurs femmes ont assisté au massacre qui se déroulait devant trois maisons, celles du garde-barrière et de deux employés. Mme D..., la femme du garde-barrière, avait sous les yeux son mari, son fils et son gendre; Mme P ...son fils et son mari ; Mme B..., son mari. Quand elles pressentirent l'horrible dénouement, elles se terrèrent dans la cave; seule, Mme B... vit les hommes tomber; son mari étant du nombre. Après quoi, les bourreaux firent sortir ces pauvres femmes de leurs habitations et jetèrent des grenades qui anéantirent les trois maisons: les quatre femmes se trouvèrent en face du monceau de cadavres sanglants. Nous dirons plus loin comment se déroula cette scène déchirante.
Pour les rescapés, la nuit était venue calme, malgré la mitraille assez proche, les explosions de grenades, les craquements de poutres calcinées, de charpentes qui s'effondraient dans les flammes et la canonnade assez lointaine. L'immense brasier de leur village, prolongé par ceux de Beurey et de Couvonges, évoquait pour certains une vision infernale du film: « Verdun, vision d'histoire. » -
Lorsqu'ils rentreront à Robert-Espagne ils verront le lieu du martyre. Spectacle d'horreur indescriptible : troncs ouverts, crânes défoncés, corps enlacés, visages noirs et défigurés, une main crispée se ferme sur un chapelet. Parmi les cinquante hommes, le brigadier de gendarmerie en uniforme tient son fils de 18 ans par le cou; deux autres gendarmes également en tenue,
le chef de gare en vareuse et en casquette réglementaire, onze cheminots; cinq pères de famille ont leur fils à leur côté. Un fusillé a rédigé cet ultime message griffonné au crayon: « Enterre-moi à R... Adieu ma femme, adieu chers parents. »
Les corps -une plaque de zinc au poignet droit - furent inhumés dans des draps sans cercueil, le vendredi, au-dessus du talus. Ils furent placés côte à côte et les petites croix qui dominaient les tertres se touchaient. Sur la demande des familles, les corps furent exhumés entre le 17 et le 28 octobre pour être placés dans des cercueils. Plusieurs dépouilles furent inhumées au cimetière; mais trente corps demeurent à l'endroit de l'exécution; trente corps qui évoqueront pour les générations futures le drame terrible du 29 août 1944…
Deux témoignages.
Deux sanglots qu'il nous faut entendre encore, mêlés aux cris de joie d'une Lorraine en partie libérée
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