Plusieurs mois d'avril de Françoise Henry
Plusieurs mois d'avril
de Françoise Henry
Françoise Henry nous raconte l'histoire de sa grande tante veuve de cheminot résistant, mort en déportation à la fin de la seconde guerre mondiale. Chaque année au printemps, Féli consacra son temps à voyager en train, jusqu'en Allemagne, sur les traces de son mari défunt afin de retrouver ses derniers instants. Une quête bouleversante racontée entre récit et prose poétique. Avec son écriture délicate et profonde, Françoise Henry nous livre ici une part de son histoire familiale dont elle est la dépositaire.
« Voyage commencé le 8 avril / terminé le 30 avril ». Ainsi s’achève le journal de Jacques, déporté à Buchenwald pour fait de résistance et mort dans une ferme allemande, journal que sa femme, Féli, reçoit après sa mort. « Alors elle a l’impression / d’être à jamais prisonnière du mois d’avril. » Jusqu’à sa mort, Féli restera fidèle au mois d’avril, mois de souvenir, mois de voyage. Tel est le fil qui court tout le long de ce récit singulier, entre la narration romanesque et la fluidité poétique, qui imprime à la phrase un rythme ténu mais opiniâtre, comme l’adagio sostenuto d’un voyage ferroviaire.
Mais ces voyages n’ont rien de répétitif. Au contraire, on y sent comme une lente transmutation de la douleur en souvenir, puis en fidélité. L’arrestation, puis la mort de Jacques, et l’annonce qui balaie le dernier espoir chez une veuve encore jeune, passent par un récit très charnel, au souffle plus haletant, d’autant plus désorienté qu’il doit apprivoiser l’absence. La présence de Jacques ne tient plus qu’à d’infimes détails, comme cette lettre que le prisonnier a fait passer dans le col d’une chemise sale, écrite au crayon sur du papier à cigarettes, et qui sera pieusement conservée dans un petit cadre retrouvé après la mort de la tante. « Elle est une part, très fine de la peau de Jacques », explique la narratrice. Le corps de l’absent investit la narration jusque dans ses moindres détails. L’ami revenu de captivité et qui explique le quotidien des prisonniers, au compte-goutte, est « un lien qui se créait entre elle et le corps de Jacques / et la chair de Jacques ». La ferme de Klara, où Jacques a vécu ses derniers jours et que Féli va visiter, devient pour elle le dernier vêtement de Jacques.
Féli habite son deuil, mais le rapporte en permanence à celui qu’elle a connu. L’insistance sur la peau rappelle les problèmes dermatologiques dont le défunt a toujours souffert. Les voyages ferroviaires, facilités par la gratuité dont bénéficient les veuves de guerre, font écho au métier de Jacques, employé à la SNCF : « elle hantait les lieux de travail de Jacques ». Et ses voyages mêmes ne sont pas définis au hasard, puisqu’elle va rendre visite, aux quatre coins de la France, aux quatre rescapés de Buchenwald qui peuvent lui parler de Jacques. Cette obsession finit par la faire surnommer, dans sa famille, tante Roulette.
Mais le ton change petit à petit, le voyage se fait initiatique, presque sans but, et le train devient salvateur, puisque « sans rien faire le corps bouge, se déplace à la surface de la terre, / le corps de Féli qui était là il y a une heure à peine à côté de vous qui la croyiez enfin sage enfin recluse dans sa douleur ». Le train la mène peu à peu au voyage intérieur, qui s’effectue à travers la littérature — après tout, tant de romans ont germé dans des trains… Sa hantise du passé la ramène au présent. La deuxième partie du roman s’intitule simplement « Aujourd’hui », et pas seulement parce qu’il se situe à l’époque contemporaine : « c’était dans le présent et uniquement dans le présent qu’elle pensait être sauvée. »
C’est ce qui arrivera. La narratrice, nièce de tante Roulette, a reçu à la mort de celle-ci le dossier resté secret, et qui lui inspire cette histoire. Elle aussi va se mettre à voyager, et vouloir retrouver, en Allemagne, la ferme où des décennies plus tôt a vécu l’oncle Jacques. Bien sûr, tout a changé, et Klara est morte, elle aussi. Mais tante Féli accomplit avec elle son dernier voyage, en un dialogue muet et émouvant. Le voyage d’avril peut alors toucher à sa fin. « J’ai compris que je devais m’en aller. Le mois de mai était à elle, rien qu’à elle. Moi j’étais le chemin, j’étais avril. » http://jean-claude.bologne.pagesperso-orange.fr/lectures11.html
Plusieurs mois d'avril
Présentation de l'éditeur
"Mais dans quel temps était-elle, elle ? Quelle heure vivait-elle ? Proches, infiniment proches étaient ces maisons et ces villages et ces boutiques où les gens faisaient leurs courses. Elle en happait un au passage, une silhouette tellement anonyme que c'était justement celle qu'elle choisissait : cet homme avec un grand panier, dédaigneux de l'autocar qui passait à côté de lui, l'autocar charriant pourtant la douleur muette d'une femme qui menait une entreprise folle partie sur les traces de son mari mort venue peut-être jusqu'ici pour lui tendre la main dans l'espoir fou, insensé de le ramener à la vie, telle - en inversant les rôles - une Eurydice son Orphée".
Editeur : Editions Gallimard (29 septembre 2011)
Collection : Blanche
ISBN-10: 2070134784
ISBN-13: 978-2070134786
Biographie de l'auteur : Françoise Henry a déjà publié huit romans dont La lampe (Editions Gallimard, 2003) et Le rêve de Martin (Editions Grasset, 2006) qui a obtenu le prix Marguerite Audoux.
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